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Le blog de David Noël, militant communiste, syndicaliste et défenseur des droits de l'homme du Pas-de-Calais

Le blog de David Noël, militant communiste, syndicaliste et défenseur des droits de l'homme du Pas-de-Calais

Ce blog politique est animé par David Noël, militant communiste, syndicaliste enseignant, défenseur des droits de l'homme et ancien adjoint au maire, conseiller communautaire et conseiller municipal PCF d'Hénin-Beaumont.


La capitulation de Tsipras : Quel programme face au capitalisme européen ?

Publié par David NOËL sur 21 Juillet 2015, 11:30am

Catégories : #Débats

 La capitulation de Tsipras : Quel programme face au capitalisme européen ?

"Tournant, tournant, dans la gyre toujours plus large
Le faucon n’entend plus le fauconnier.
Tout se disloque; le centre ne peut tenir.
L’anarchie se déchaîne sur le monde
Une marée assombrie de sang se déferle et partout
La cérémonie de l’innocence est noyée.
Les meilleurs n’ont plus de convictions, tandis que les pires
Sont remplis d’une intensité passionnelle."

Extrait de La Seconde Venue, W. B. Yeats (1865-1939)

Le document produit par le sommet européen du 12 juillet 2015 se lit comme l’ultimatum d’un pays vainqueur à l’adresse d’un pays vaincu. Exigeant et menaçant, il rappelle la sommation de Bismarck en 1871 ou le Traité de Versailles de 1919. Il n’a rien d’un accord négocié. C’est une imposition brutale et punitive. Privant la Grèce de pans entiers de sa souveraineté nationale, il revient à une prise de contrôle de l’économie et même, dans une certaine mesure, de l’appareil gouvernemental du pays.

Les termes de l’ultimatum étaient implacables. Si le gouvernement grec ne suivait pas la politique économique et sociale dictée par Merkel et Schaüble, à la lettre et selon un calendrier très précis, l’Allemagne menaçait de provoquer un effondrement immédiat du système bancaire et de l’économie du pays. Une longue liste de mesures devait être actée dans l’espace de quelques jours. Un protocole visant à organiser l’expulsion de la Grèce de l’Union Européenne avait été mis au point. Le couteau sous la gorge, Tsipras a cédé. Il a signé un accord humiliant, à l’opposé de ses convictions, aux conséquences ruineuses pour la Grèce. Parmi les réformes qu’il s’est engagé de mettre en œuvre se trouvent un vaste programme de privatisations portant sur 50 milliards d’euros (dont la moitié servira à renflouer les banques grecques), une hausse significative de la TVA, une très forte réduction des dépenses publiques et sociales, une réforme des retraites repoussant l’âge de la retraite à 67 ans, de nouvelles lois facilitant des licenciements collectifs, la restriction des droits syndicaux et du droit de grève et la remise en cause des conventions collectives. La gestion quotidienne de la politique budgétaire de la Grèce est placée sous le contrôle et la surveillance de la bureaucratie européenne, elle-même sous le contrôle effectif du gouvernement allemand.

Maintenant qu’elle est en train d’écraser le peuple grec sous son talon, la position dominante de l’Allemagne en Europe est une évidence pour tous. Cette position existe depuis longtemps. Elle s’affirmait bien avant la réunification de 1989. Mais l’extension massive de son territoire à cette époque a grandement augmenté son poids économique et politique par rapport à tous les autres pays du continent. Cependant, jusqu’à récemment, l’Allemagne s’efforçait de dissimuler cette réalité derrière le mythe de la coopération européenne. Soucieuse de faire oublier le passé, de ne pas éveiller les craintes et donc l’hostilité de ses voisins, elle cultivait l’image d’un Etat européen parmi d’autres. D’où la discrétion de son activité diplomatique et militaire, par rapport aux autres grandes puissances. Mais l’accélération du déclin du capitalisme européen depuis 2008 attise les tensions entre les Etats. Dans la lutte implacable pour le partage des marchés, des ressources et des profits, les groupes bancaires, industriels et commerciaux et les Etats auxquels ils sont liés doivent peser de tout leur poids. Dans cette guerre économique, le capitalisme allemand pèse beaucoup plus que tous ses « partenaires » européens. La démonstration de cette vérité vient d’être faite sans appel.

L’indépendance de la BCE est un mensonge. De fait, elle est sous le contrôle de l’Allemagne. 18% des parts sociales de la BCE sont détenues par l’Allemagne, soit 4% au dessus de la France, 6% au dessus de l’Italie et 10 points au dessus de l’Espagne. Ces chiffres ont leur importance, mais c’est surtout la prépondérance économique de l’économie allemande qui est décisive. La France a son mot à dire, certes. Mais à chaque fois que le sens de ce mot est allé à l’encontre des intérêts du capitalisme allemand, il est resté sans suite. Les bureaucrates qui gèrent l’Union Européenne agissent nécessairement dans l’intérêt des grandes puissances qui la composent, parmi lesquelles l’Allemagne occupe – et de très loin – la première place. Elle est à la fois la première puissance industrielle et le premier financier de l’Union Européenne. L’Allemagne exporte entre 35 et 40 % de sa production. Aucune autre puissance mondiale n’est à ce niveau. La Chine en est à 30 %, par exemple. L’importance des exportations allemandes sont à la fois une force et un facteur de grande vulnérabilité. Tout ce qui freinerait les exportations allemandes et tout ce qui remettrait en cause la valeur de ses avoirs internationaux menaceraient directement les fondements mêmes de son économie nationale. Dans ces conditions, la politique monétaire de l’Europe, et donc le contrôle de la BCE et de l’euro, est un enjeu absolument vital pour le capitalisme allemand. Son gouvernement ne laissera personne – certainement pas la Grèce, mais la France non plus – infléchir la politique monétaire dans un sens contraire à ses intérêts. Ainsi, lorsque le journal britannique The New Statesman (13 juillet 2015) a demandé à Yanis Varoufakis si les attitudes allemandes contrôlaient l’Eurogroupe, il a répondu : « Oh complètement et jusqu’au bout ! », en rajoutant que ce n’étaient pas tant les attitudes qui contrôlaient ce groupe mais le Ministre des Finances allemand en personne. « C’est comme un orchestre bien accordé », a-t-il précisé, « et, lui, c’est le chef d’orchestre. Tout se passe en harmonie. Il y aura des moments de dissonance, mais il intervient pour remettre de l’ordre. » Dans la même interview, ce que dit Varoufakis sur le comportement de la France est également très instructif : « Il n’y avait que le Ministre des Finances français pour faire des bruits qui s’écartaient de la ligne allemande, et ces bruits étaient très subtiles. On voyait qu’il devait utiliser un langage très judicieux, pour ne pas avoir l’air de s’y opposer. Et en fin de compte, lorsque le Docteur Schaüble répondait pour stipuler la ligne officielle, le Ministre des Finances français se pliait et l’acceptait à chaque fois. »

Négociations ou lutte contre le capitalisme ?

Le 25 janvier dernier, la victoire de Syriza aux élections avait été accueillie avec enthousiasme par les militants du mouvement ouvrier de toute l’Europe. Ce jour-là, Tsipras avait déclaré : « Aujourd’hui, nous avons mis fin à l’austérité ! » Mais ce n’était pas le cas. La régression sociale, en Grèce comme ailleurs, est le produit non seulement de politiques gouvernementales, mais aussi et surtout de l’incapacité du système capitaliste de notre époque à se maintenir autrement que par l’imposition de cette régression. Dans le contexte de marchés saturés ou en contraction, conjugués avec un surendettement massif des Etats, des entreprises et des ménages, les profits des capitalistes ne peuvent être maintenus ou augmentés qu’en exerçant une pression permanente sur les conditions de travail, le niveau de vie et les droits – c’est-à-dire la capacité de résistance – des travailleurs. C’est précisément l’épuisement du potentiel de développement du capitalisme sur des bases autres que celle-ci qui oblige tous les gouvernements qui défendent ou qui acceptent ce système de mettre leur politique en conformité avec cette réalité. L’arrivée au pouvoir d’un gouvernement de gauche comme celui de Syriza ne règle pas le problème. Certes, il peut ouvrir, du moins théoriquement, la possibilité de le régler ou – selon la politique qui est menée – renforcer la position du mouvement ouvrier dans la lutte des classes. Mais encore faut-il que les gouvernements en question aient, au-delà de la rhétorique, non seulement la volonté, mais aussi un programme d’action susceptible de briser le carcan étouffant du système capitaliste.

Qu’en a-t-il été avec Tsipras et Syriza ? Au lendemain de la victoire du 25 janvier, Tsipras et ses ministres ont fait le tour des puissances européennes. Ils ont plaidé en faveur d’un desserrement de l’étau financier qui était en train d’asphyxier l’économie grecque. Partout, ils n’ont rencontré que des portes fermées. Etait-ce une erreur de faire cette tournée ? Pas forcément. Cela dépend de ce qu’on en fait, politiquement. Tsipras et Varoufakis estimaient qu’ils avaient été mandatés par le peuple grec pour négocier avec l’Union Européenne. Les résultats négatifs de cette tournée auraient pu être le point de départ d’une nette radicalisation de la politique du gouvernement, car il était déjà évident que toute politique visant à mettre fin à l’austérité ne pouvait se mener que par une lutte impitoyable contre la Commission Européenne, contre les gouvernements nationaux coalisés, contre la BCE, contre le FMI, contre toutes les banques centrales et tous les groupes financiers, industriels et commerciaux du continent. Dans ces conditions, il n’est pas surprenant que la soi-disant négociation n’ait donné aucun résultat positif.

Le vaste éventail d’ennemis rangé contre Syriza inclut bien évidemment les capitalistes grecs. Ils sont parmi les premiers responsables de la catastrophe économique et sociale qui a frappé le pays. Ce sont eux qui ont exigé l’austérité. Ce sont eux qui ont détruit les infrastructures du pays et épousé toutes les causes réactionnaires, apportant souvent leur appui aux fascistes de l’Aube Dorée. Si le nouveau gouvernement en Grèce voulait se donner la moindre chance face aux capitalistes coalisées contre lui à l’extérieur, il fallait commencer par l’éradication du pouvoir de leurs semblables à l’intérieur. Une lutte sérieuse contre la régression sociale impliquait, de la part de Syriza et du mouvement ouvrier grec, une offensive dirigée contre la source même du pouvoir de ces capitalistes. Elle impliquait la mobilisation de toutes les forces vives du peuple grec pour exproprier de force la classe capitaliste, en plaçant toutes les institutions bancaires et les grands moyens de production sous le contrôle et la direction des travailleurs eux-mêmes. Sur cette base, les voies d’ingérence des grandes puissances auraient été bloquées. Un appel lancé à l’ensemble des travailleurs européens pour qu’ils suivent l’exemple de la Grèce afin de rompre son isolement et en finir avec l’austérité à l’échelle continentale avaient de bonnes chances d’être entendu. Mais dans l’esprit des dirigeants de Syriza, cette option offensive était exclue par avance. S’accrochant jusqu’au bout à l’appartenance de la Grèce à l’Union Européenne et à l’illusion qu’ils pouvaient parvenir à un accord avec les rapaces qui la dirigent, ils ont opté pour la négociation, plutôt que la lutte.

Il s’en est suivi de longs mois de discussions – ou plutôt d’ultimatums et de chantage – qui ne menaient nulle part. Le point de vue du gouvernement grec était que les conditions que l’UE voulait imposer à la Grèce rendaient impossible le moindre espoir de remonter l’économie du pays et au contraire aggraveraient la crise économique et sociale, alors que la population avait déjà subi un véritable effondrement de ses conditions de vie. Mais les dirigeants de l’Union Européenne étaient, dès le départ, totalement insensibles à ces évidences. Le témoignage de Varoufakis est éloquent à cet égard. Il s’est trouvé, dit-il, en face de « bureaucrates et apparatchiks qui n’ont rien à faire du coût humain des décisions qu’ils prennent. »

Référendum et capitulation

Sentant alors qu’ils étaient dans une impasse, les représentants de la Grèce ont décidé d’organiser un référendum, un peu à la manière de joueurs de cartes qui, sentant la partie perdue, décident tout d’un coup de renverser la table. Varoufakis pensait que le référendum serait perdu, et dit que Tsipras était dans la même idée. Quoiqu’il en soit, le référendum a massivement rejeté le chantage européen. Avant le vote, Tsipras et son entourage expliquait qu’une victoire du « non » renforcerait leur position face aux Allemands. Le croyaient-ils vraiment ? Peut-être. Mais toujours est-il que le soir même du référendum, Tsipras a refusé la ligne plus « énergique » préconisée par Varoufakis, qui prônait une prise de contrôle gouvernemental du système bancaire grec. Tsipras aurait insisté pour que rien ne soit fait qui soit susceptible de braquer ou mettre en difficulté leurs adversaires. « Essentiellement, » dit Varoufakis, toujours dans l’interview du New Statesman, « cela signifiait qu’on se plie… qu’on ne négocie plus. » Ainsi, au lieu d’un durcissement dans l’attitude des Grecs, des concessions majeures ont été faites, en plus de celles qui avaient déjà été rejetées comme inacceptables par le « non » du référendum. Le premier signe de cet infléchissement était la démission de Varoufakis lui-même. Selon l’ancien Ministre, Tsipras lui avait fait comprendre que sa présence risquerait de gêner. Merkel et Schaüble demandaient sa tête depuis longtemps. Finalement ils l’ont eue. L’Allemagne a pu choisir non seulement ses propres négociateurs, mais aussi ceux de la partie adverse !

Le texte signé par Tsipras constitue une défaite majeure pour lui, pour son parti, et pour tous les travailleurs grecs. Devant le parlement, dans un long discours presque vide et truffé de répétitions, Tsipras a insisté à plusieurs reprises qu’il n’avait pas « trahi ». Mais peut-on le suivre dans cette affirmation ? Clairement, Tsipras voulait en finir avec l’austérité. Il ne voulait pas se retrouver dans cette situation. Il a signé sous la contrainte, le couteau sous la gorge. Il considérait qu’il n’avait pas le choix. Ainsi, certains – dont Pierre Laurent, qui a salué son « courage et responsabilité politique exemplaires » – considèrent que la signature ne constituait pas en soi une trahison. Mais beaucoup de travailleurs grecs pensent le contraire. La majorité de son propre parti a rejeté l’accord, également. Notons aussi que 17 députés de Syriza n’ont pas soutenu le projet de Tsipras au parlement et que le texte n’a été adopté que grâce aux voix de l’opposition.

De toute façon, crier à la trahison de Tsipras ne nous avance pas à grand-chose. Le vrai problème est ailleurs. Au fond, Tsipras était le prisonnier de ses propres conceptions politiques. Une politique réformiste qui cherche à défendre les intérêts des travailleurs sans menacer les intérêts fondamentaux des capitalistes, ne correspond pas aux réalités du capitalisme de notre époque. Par conséquent, et indépendamment de sa volonté subjective, les limites du réformisme l’ont mis sur une trajectoire qu’il n’a pas voulue et l’ont placé, désormais, dans un rôle qui se trouve à l’opposé de ses objectifs initiaux. Quelques jours après avoir organisé un référendum dans lequel il incitait les Grecs à rejeter le plan d’austérité voulu par Merkel, Schaüble, Hollande etc., il accepte lui-même un plan plus rétrograde encore ! Cette trajectoire fatale n’est pas encore arrivée à sa fin. La ligne entre une signature arrachée sous la contrainte, de la part d’un homme qui considérait à tort ou à raison qu’il n’avait pas le choix, et la trahison consciente de son camp peut être vite franchie. Mis en minorité dans le parti, Tsipras et l’aile droite de Syriza sont en alliance parlementaire, désormais, avec Nouvelle Démocratie et le PASOK. Dans le remaniement du 17 juillet, les ministres qui ont dénoncé l’alignement sur la politique de Merkel ont été virés. C’est dans l’ordre des choses. Ayant accepté d’appliquer un programme qui s’attaque brutalement aux intérêts des travailleurs qui avait placé leur confiance en lui, force est de reconnaître que Tsipras ne pourrait le faire qu’en luttant avec acharnement contre la résistance du mouvement ouvrier et de la jeunesse. Déjà, le 15 juillet,  les travailleurs du secteur public ont lancé une grève de 24 heures. On s’attend à d’autres grèves et manifestations de plus grande ampleur. Que fera le gouvernement, dans ce cas ? Enverra-t-il les forces de répression ? S’il suit cette voie, Tsipras se présentera au mouvement ouvrier et à tous ceux qui résistent à la régression sociale, non plus comme leur champion, mais en ennemi.

L’évolution du gouvernement grec est dictée par la faillite du réformisme dans les conditions de notre époque. Le point de départ d’une politique réformiste est que le programme du mouvement ouvrier doit s’accommoder d’un ordre social dans lequel l’essentiel du pouvoir économique est entre les mains des capitalistes, et ce à une époque où les intérêts vitaux des capitalistes exigent la destruction de toutes les conquêtes sociales du passé. C’est une politique illusoire, inapplicable. C’est ce programme qui a trahi Syriza et les travailleurs grecs. Sa faille fondamentale fait que la trahison lui est inhérente.

Le danger fasciste et le mouvement ouvrier

Les perspectives qui se dessinent pour la Grèce sont chargées de possibilités révolutionnaires, certes, mais aussi contre-révolutionnaires. Pour l’instant, aucun parti ne base son action sur un programme révolutionnaire qui indiquerait aux travailleurs les moyens par lesquels ils pourraient briser l’emprise capitaliste – qu’elle soit grecque ou étrangère – sur l’économie et l’administration du pays. Cette absence d’alternative venant du mouvement ouvrier sera lourde de conséquences. Les pressions s’exerçant sur les travailleurs, les commerçants, les jeunes et les retraités deviendront de plus en plus fortes. En même temps, la déception profonde provoquée par la volte-face de Tsipras et le sentiment d’humiliation et d’asservissement par une Union Européenne dominée par l’Allemagne ne peuvent que favoriser le développement du nationalisme et renforcer les organisations fascistes.

Face à ce danger, le temps presse. La transformation de Tsipras en exécutant de Merkel ébranle le mouvement ouvrier de fond en comble, à commencer par Syriza.  L’évolution en cours confirme de façon éclatante les avertissements et analyses de la Tendance Communiste dans Syriza, qui s’est constamment efforcée d’alerter les militants du parti et des organisations syndicales quant aux conséquences néfastes de la recherche d’un compromis avec l’ennemi de classe. Jusqu’à présent, cette tendance et l’ensemble de l’opposition de gauche au sein de Syriza étaient bien trop faibles pour s’imposer. Mais la situation interne du parti évoluera très rapidement, désormais. Sur la base du capitalisme, aucune issue favorable aux travailleurs n’est possible. Syriza doit donc se débarrasser de la politique réformiste qui a mené à la débâcle actuelle et s’armer d’une politique révolutionnaire reliant les revendications sociales du mouvement ouvrier grec à la nécessité impérieuse de s’attaquer à la source du pouvoir oppressant de la classe dominante. Cela signifie qu’il faut mettre fin à la propriété capitaliste des banques, de l’industrie et de tous les autres rouages essentiels de l’économie nationale. Les petits commerces et autres entreprises de petite taille peuvent rester dans la sphère privée, mais les capitalistes qui contrôlent tous les grands piliers de l’économie nationale devraient être expropriés et les entreprises en question placées sous le contrôle et la direction démocratiques des travailleurs grecs. Armés d’un programme de ce genre, Syriza, le KKE et le mouvement ouvrier grec pourrait contrecarrer la montée des tendances réactionnaires, et devenir le point de ralliement d’une force sociale suffisamment puissante pour libérer la Grèce du système capitaliste.

Merkel a obtenu la capitulation du gouvernement grec, ainsi devenu l’instrument de sa politique. La politique économique de la Grèce est placée désormais sous la supervision de moniteurs de l’UE qui sont, en effet, sous le contrôle du gouvernement allemand. En ce sens, c’est une sorte de coup d’Etat qui a eu lieu, au profit des créanciers capitalistes. Merkel et Schaüble – soutenus par le gouvernement Hollande – insistaient pour que le nouveau gouvernement grec respecte les accords signés par son prédécesseur. Pour eux, des changements de gouvernement ne doivent pas donner lieu à des changements de politique. Les intérêts des banques et de la classe capitaliste en général passent avant tout.

Pour intimider Tsipras, Merkel et Schaüble ont agité la menace de l’expulsion de la Grèce de l’Union Européenne. Celle-ci aurait eu de très graves conséquences pour la Grèce. Mais en même temps, à l’intérieur de l’UE et sous sa domination, les perspectives pour l’économie grecque sont tout aussi sombres, à terme. Pour l’Allemagne, sortir la Grèce de la zone euro, ne serait-ce que  « temporairement », était une option lourde de risques et de périls. Premièrement, ce geste aurait immédiatement transformé la conscience de tous les peuples de l’Europe quant à la nature de l’Union Européenne, qui s’apparente de plus en plus, déjà, à un Empire capitaliste dans lequel tous les leviers essentiels du pouvoir sont effectivement sous le contrôle de l’axe franco-allemand, mais dans lequel toutes les décisions les plus importantes sont prises par le gouvernement allemand, en raison de l’écart de plus en plus grand entre les deux pays en ce qui concerne leur poids économique. La sortie de la Grèce aurait accéléré le processus de déclin et de dislocation de l’Union Européenne, qui n’est pas dans l’intérêt des capitalistes allemands et français. Il n’empêche que la menace de l’expulsion de la Grèce a porté ses fruits. L’impérialisme allemand a montré ses dents – longues et bien aiguisées – et fait comprendre qu’il agira avec férocité et vindicte quand ses intérêts sont en jeu. Compte tenu de l’histoire de l’Europe, ceci ne manquera pas de raviver les souvenirs, les craintes et les haines qui ont marqués le passé du continent. N’oublions pas que la Grèce, comme bien d’autres pays européens, étaient sous occupation allemande dans le passé. Dans ce contexte, le renforcement des tendances nationalistes, évident dans pratiquement tous les pays européens au cours de la dernière période, risque de se poursuivre.

Implications pour le mouvement ouvrier français

En France, comme dans toute l’Europe, la question de l’Union Européenne et celle de l’expérience grecque occupent désormais une place centrale dans la conscience politique des travailleurs. Elles seront dans une large mesure la pierre de touche de la vie politique de tous les Etats membres. Ceci signifie, pour ce qui est de la France, que la position prise par le PCF, la CGT et les autres composantes du mouvement ouvrier français sur ces questions est d’une importance absolument cruciale.

De nombreuses manifestations de solidarité avec la lutte contre l’austérité en Grèce ont eu lieu. Le PCF, en particulier, a été en première ligne des organisations apportant leur soutien à ce combat. Ceci était parfaitement correct. La lutte contre l’austérité en Grèce concerne tous les travailleurs européens. Cependant, la direction du parti s’est malheureusement contentée de soutenir les démarches du gouvernement Tsipras aveuglement, sans aucune prise de distance critique. La justification la plus courante de cette attitude est que ce n’est pas le rôle du PCF que de donner des leçons à ceux qui luttent en Grèce, comme si la discussion et la critique constructive devaient s’arrêter aux frontières nationales. En tout cas, pour le PCF, pour les Jeunes Communistes, pour les militants de la CGT et des autres syndicats combatifs, le problème n’est pas tant de donner des leçons, mais au contraire d’apprendre à partir de l’expérience cruciale de ce qui se passe en Grèce, et de donner une expression consciente à ces enseignements dans les idées qu’ils défendent et dans l’élaboration d’un programme qu’ils présentent aux travailleurs ici en France. Si ce travail n’est pas fait, le mouvement ouvrier français subira lui aussi les conséquences de l’échec du gouvernement de gauche en Grèce. Cet échec renforcera immanquablement les tendances fatalistes et défaitistes qui existent chez bien des travailleurs, et se retournera contre le PCF et le mouvement ouvrier français. On peut compter sur l’industrie médiatique pour gloser sur l’impuissance des rêveurs de la « gauche radicale » face aux réalités du monde dans lequel nous vivons. On pourra répéter autant que l’on veut que Merkel et les autres dirigeants européens ont mal agi, que leur politique est inadmissible, scandaleuse, punitive, réactionnaire, etc. Mais si l’échec du réformisme en Grèce n’est pas reconnu et expliqué aux travailleurs de France, beaucoup tireront la conclusion qu’il n’y a pas d’alternative au capitalisme. Expliquer l’adoption d’une politique d’austérité par Tsipras en évoquant l’acharnement de Merkel est comparable à un boxeur expliquant qu’il n’aurait pas été vaincu si seulement son adversaire avait arrêté de le frapper. Le pouvoir et l’acharnement des capitalistes est une réalité face à laquelle la modération réformiste est impuissante. Voilà ce que nous enseigne l’expérience grecque. Il ne s’agit pas de donner des leçons, mais de savoir apprendre.

L’Union Européenne n’est autre qu’une vaste machine bureaucratique au service des plus grands groupes financiers et industriels. Ces groupes visent à détruire les conquêtes sociales et tout ce qui se présente comme un obstacle à la rapacité capitaliste. Les revendications passives qui forment l’ossature de la politique européenne de la direction du PCF ne sont pas à la hauteur de la situation. Plaider pour une « réforme de la BCE » afin qu’elle devienne l’instrument de la promotion du progrès et de la justice sociale n’a aucun sens. A qui cette demande s’adresse-t-elle ? La BCE est fermement entre les mains des capitalistes, et des capitalistes allemands en particulier. Ce contrôle est un enjeu vital de leur point de vue. Qui, au juste, va réformer la BCE ? La Commission Européenne ? Le gouvernement allemand ? Le parlement européen ? Les dirigeants du parti ne disent rien à ce sujet. Il en va de même pour la revendication, tout aussi passive et illusoire, d’une réforme du FMI. Quant à l’Union Européenne, elle ne peut pas être réformée. Elle doit être renversée. Le mouvement ouvrier n’a pas et n’aura jamais d’emprise sur ces institutions, dont la capacité de nuisance tombera en même temps que celle de la classe capitaliste. Ce qui est à la portée du mouvement ouvrier, par contre, si seulement il peut être convaincu de sa nécessité, et mobilisé pour sa mise en œuvre, c’est la prise de contrôle des moyens de production, l’expulsion des capitalistes et de leurs hommes de paille de tous les postes de contrôle, dans la sphère économique comme dans les administrations. Cet objectif ultime, inlassablement expliqué et argumenté auprès des travailleurs et de la jeunesse, devrait couronner le programme revendicatif immédiat du PCF et de la CGT. C’est cette orientation révolutionnaire que La Riposte s’efforce de propager dans le mouvement ouvrier.

Le pouvoir des capitalistes est énorme parce qu’ils possèdent les moyens de production et le secteur bancaire. Ce sont eux qui contrôlent l’économie. Or, ce qui caractérise tous les programmes de type réformiste – comme celui du PCF ou de Syriza – c’est qu’au-delà des revendications concernant les conditions de travail et les conditions de  vie en général, ils ne proposent aucun moyen de surmonter la capacité de résistance des capitalistes. C’est cette faiblesse majeure qui explique l’échec de Tsipras face aux capitalistes grecs et européens. Nous faisons confiance aux militants du mouvement ouvrier grec pour en tirer les conclusions nécessaires.

Greg Oxley
PCF Paris

Source : La Riposte
Lundi 20 juillet 2015

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