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Le blog de David Noël, militant communiste, syndicaliste et défenseur des droits de l'homme du Pas-de-Calais

Le blog de David Noël, militant communiste, syndicaliste et défenseur des droits de l'homme du Pas-de-Calais

Ce blog politique est animé par David Noël, militant communiste, syndicaliste enseignant, défenseur des droits de l'homme et ancien adjoint au maire, conseiller communautaire et conseiller municipal PCF d'Hénin-Beaumont.


Marine Le Pen et sa relecture de l’«occupation» devant le tribunal

Publié par David NOËL sur 20 Octobre 2015, 11:30am

Catégories : #Extrême droite, #Affaires

Marine Le Pen et sa relecture de l’«occupation» devant le tribunal

La présidente du FN est jugée ce mardi pour «incitation à la haine raciale». En 2010, elle comparait les prières de rue à la présence allemande pendant la guerre. Une petite phrase qui éclaire la stratégie mariniste.

Il faut méditer cette phrase déjà ancienne de Louis Aliot, vice-président du Front national : «Soyons clairs sur la dédiabolisation. Celle-ci ne concerne que notre présomption d’antisémitisme, rien d’autre. Pas l’immigration ni l’islam, sur lesquels, à la limite, il n’est pas mauvais d’être diabolisé.» Cette mise au point est une clé de lecture du «marinisme». Et en particulier de l’affaire qui amène Marine Le Pen devant le tribunal correctionnel de Lyon, ce mardi. Poursuivie pour «incitation à la haine raciale», la présidente du FN doit s’expliquer sur des propos tenus le 10 décembre 2010 à Lyon.

Fixette.

L’eurodéputée est alors en campagne pour succéder à son père dans le parti. Ce soir d’automne, elle tient une réunion publique dans un pavillon du parc de la Tête d’or. Le terrain lyonnais n’est pas neutre : c’est celui de son concurrent, Bruno Gollnisch, et d’une extrême droite radicale acquise à ce dernier. Face à 250 personnes, elle évoque les prières de rue pratiquées par certains musulmans : «Je suis désolée, mais pour ceux qui aiment beaucoup parler de la Seconde Guerre mondiale, s’il s’agit de parler d’Occupation, on pourrait en parler pour le coup. Parce que ça, c’est une occupation du territoire. […] Certes, il n’y a pas de blindés, pas de soldats, mais c’est une occupation tout de même.»

La phrase suscite de nombreuses condamnations politiques, ainsi que les plaintes en justice de deux associations antiracistes. La suite s’étire sur cinq années : classement sans suite en septembre 2011, saisine par une association du doyen des juges d’instruction de Lyon, ouverture d’une information judiciaire en janvier 2012, levée d’immunité par le Parlement européen en juillet 2013, mise en examen en juillet 2014, renvoi devant le tribunal correctionnel en septembre de la même année. La peine maximale pour ce délit est d’un an de prison et de 45 000 euros d’amende. Mardi, Marine Le Pen doit être présente à Lyon : la présidente du FN veut faire de son procès une tribune pour défendre sa liberté d’expression, ainsi que sa conception de la laïcité.

L’affaire est singulière à plusieurs titres. Contrairement à son père, Marine Le Pen n’avait jusqu’alors jamais été jugée pour «incitation à la haine raciale». Ces propos représentent par ailleurs l’une de ses seules incursions sur un terrain dont Jean-Marie Le Pen comme Bruno Gollnisch sont, eux, familiers : la référence à la Seconde Guerre mondiale. Un paradoxe dans la mesure où cette fixette, jugée désastreuse pour le FN, a déterminé Marine Le Pen à briguer la tête du parti : l’évocation par son père d’une occupation allemande «pas particulièrement inhumaine», en 2005, aurait selon elle été décisive.

Lubies passéistes.

En réalité, la contradiction n’est qu’apparente. Car le sarcasme est évident dans la bouche de la frontiste lorsqu’elle évoque «ceux qui aiment beaucoup parler de la Seconde Guerre mondiale». En filigrane, la petite phrase oppose les lubies passéistes du «vieux FN» aux préoccupations plus actuelles de la jeune garde. Pour la chercheuse Cécile Alduy, auteure de Marine Le Pen prise aux mots (Seuil, 2015), celle-ci «donne en passant une leçon de communication à son père. D’une part, elle utilise le même mot que lui, manière de dire à la base qu’elle connaît son corpus ; mais, d’autre part, l’expression vise ici une cible "acceptable" et contemporaine, plutôt que de contester inutilement des faits historiques. Car il n’y a rien à gagner aujourd’hui à parler de la Seconde Guerre mondiale ou à s’en prendre aux juifs. En revanche, le FN engrange les bénéfices lorsqu’il critique la communauté musulmane ou ses signes visibles». La petite phrase apparaît ainsi comme une interface entre «l’ancien» et le «nouveau» FN. Elle récupère la charge radicale du discours paternel, tout en la dirigeant vers une nouvelle cible. Elle contredit également une interprétation courante de la «dédiabolisation» : contrairement à une crainte exprimée en 2005 par Jean-Marie Le Pen, celle-ci n’a jamais impliqué un FN «gentil», ni un discours totalement normalisé. En témoigne l’usage persistant de la métaphore militaire chez Marine Le Pen : assimilation ici d’une présence (de musulmans) à une «occupation», là d’une arrivée (d’immigrés) à une «invasion».

De ce vocabulaire découle la «bonne diabolisation» évoquée par Aliot. Celle qui, sans détourner du FN un trop grand nombre d’électeurs, le distingue du reste de l’offre politique et assure à peu de frais sa promotion médiatique. La petite phrase de 2010 n’était pas un «dérapage» ; c’était la bande-annonce du marinisme.

Dominique Albertini

Légende photo : Marine Le Pen à Arpajon, le 14 septembre, au meeting de lancement de campagne du candidat FN Wallerand de Saint-Just, pour les élections régionales dans la région Île-de-France.


Source : Libération
Lundi 19 octobre 2015

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